Le Livre d’or de Montlhéry

par Jean LESCURE

 

Selon la loi du 25 octobre 1919, relative à la commémoration et à la glorification des « Morts pour la France » au cours de la Grande Guerre, l’État, par le ministère des Pensions, lance le projet d’un Livre d’or, mentionnant tous les « Morts pour la France », qui sera déposé au Panthéon. Pour ce faire, le ministère des Pensions établit la liste des « Morts pour la France » de chaque commune. L’opération est longue, demande beaucoup de temps ; il y a le problème des disparus à recenser, des morts à identifier, etc. Les listes ne sont adressées aux communes qu’à partir de 1929. Montlhéry reçoit son Livre d’or, « contenant sa liste de Morts pour la France », le 25 octobre 1929. Linas reçoit le sien, le 3 mars 1931. Les mairies doivent contrôler ces listes, les amender au besoin, renvoyer une copie corrigée au ministère mais elles gardent l’exemplaire de leur commune, c’est leur Livre d’or.

Selon les textes officiels, les marins « Morts pour la France » ne figurent pas sur ces Livres d’or envoyés aux communes ; un travail analogue à celui du ministère des Pensions doit être effectué pour eux, de façon indépendante, par le ministère de la Marine. Nous avons ainsi à Montlhéry le cas de Pierre Graillot, né à Montlhéry, matelot musicien de 1ère classe sur le croiseur cuirassé Léon Gambetta, disparu en mer le 27 avril 1915. Il est déclaré officiellement Mort pour la France, il est inscrit sur les monuments aux morts de la commune mais il n’est pas inscrit sur le Livre d’or envoyé par le ministère des Pensions. Finalement, le Livre d’or des marins Morts pour la France pendant la Grande Guerre n’a pas été réalisé par le ministère de la Marine.

En 1935, les listes des Morts pour la France de l’armée de terre, qui comprenaient aussi les militaires de la nouvelle aviation, sont dressées. L’établissement du Livre d’or national est clôturé. Cent vingt volumes doivent être imprimés. Un exemplaire doit être déposé solennellement au Panthéon, mais les contraintes budgétaires surgissent, les gouvernements et les opinions changent, la guerre arrive, le projet reste et restera toujours dans les cartons.

Théoriquement, la liste officielle des Morts pour la France d’une commune, pendant la guerre 1914-1918, seulement pour l’armée de terre, était celle inscrite dans le Livre d’or de la commune. Elle comprenait les noms des « Morts pour La France » de l’armée de terre, nés ou résidant dans la commune. Cette dualité dans le choix du lieu d’inscription a provoqué des duplications ou des confusions dans les inscriptions. Si on naît dans une seule commune, on peut résider successivement dans plusieurs communes. Bien que cela soit supposé, il n’est pas stipulé expressément pour cette liste que la commune de résidence est celle du dernier domicile, comme c’est le cas pour l’état civil. Comme la commune du dernier domicile, parfois très récent au moment de la mobilisation, est différente de celle de la naissance, des Morts pour la France ont été inscrits sur le Livre d’or de deux communes, celle de leur naissance et celle de leur dernier domicile. Ceci risque d’ailleurs de fausser des statistiques réalisées à partir de ces listes.

Depuis 2003, « Mémoire des hommes », la base des Morts pour la France de la Première Guerre Mondiale, créée et gérée par la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives du Ministère des Armées, a établi la liste officielle des Morts pour la France de la guerre 1914-1918.

Quand on examine le Livre d’or de Montlhéry, on s’aperçoit d’abord que sa liste, qui comprend 63 noms, a été amendée par la commune, comme le demandait le ministère. On y voit un nom rayé et trois noms calligraphiés différemment : le nom rayé est celui de Mestivier Henri et les trois noms calligraphiés différemment, qui ont sans doute été ajoutés, sont ceux de Huet Fernand Jules, Lemaire Marcel Henri René et Pigeassou Auguste Eugène. La liste « officielle » des Morts pour la France de Montlhéry dans le Livre d’or n’est pas complète. Il y a 78 noms inscrits pour la guerre de 1914-1918 sur le monument aux Morts du cimetière de Montlhéry. Soixante et onze d’entre eux sont les noms de soldats qui ont été déclarés effectivement et officiellement « Morts pour la France », ils sont inscrits dans la « Base des Morts pour la France de la Première Guerre Mondiale » du ministère des Armées, évoquée cièdessus. Pourquoi dix-huit de ces « Morts pour la France » de Montlhéry ne sont pas consignés dans le Livre d’or de la commune ? Soit, ils ne sont pas nés à Montlhéry, soit, s’ils y sont nés, ils n’y résidaient pas au moment de leur mobilisation. Ce sont les seules raisons valables qu’on peut évoquer. Or, si on consulte le registre d’état-civil de la ville de Montlhéry, six parmi ces dix-huit Morts pour la France sont nés à Montlhéry : Charpentier Léon, Dehayes André, Duclair Charles, Fargier Albert, Fontaine Onézime et Graillot Pierre. Toutefois, celui-ci est un cas particulier : Graillot était marin et, par conséquent, ne pouvait pas être inscrit sur le Livre d’or du ministère des Pensions, réservé à ceux qui n’étaient pas marins comme nous l’avons dit plus haut. Quatre des cinq autres Morts pour la France, natifs de Montlhéry, que nous venons de mentionner, n’y résidaient pas quand ils sont partis à la guerre, mais Fontaine Onésime y habitait. Ces quatre ou cinq Morts pour la France auraient dû être inscrits par le ministère sur le Livre d’or de Montlhéry ou ajoutés à celui-ci quand la mairie a reçu son exemplaire, surtout qu’ils étaient déjà sur le monument aux Morts de la ville. Pourquoi ces cinq et même six Morts pour la France sont inscrits sur le monument du cimetière ? Leurs familles ont sans doute demandé qu’ils y soient parce que c’est leur commune, la commune de naissance de leur enfant, et leur défunt est peut-être enterré dans le caveau de la famille au cimetière de Montlhéry. Quant aux douze autres, qui ne sont pas nés à Montlhéry, ils n’y résidaient pas quand ils sont partis à la guerre, mais leurs familles habitaient peut-être à Montlhéry. Ces Morts pour la France peuvent y avoir vécu pendant leur enfance ou leur jeunesse, ils sont peut-être enterrés aussi dans le caveau de leur famille à Montlhéry, même si la déclaration de leur décès avec la mention « Mort pour la France » a été transcrite officiellement dans une autre commune.

On est confronté parfois à des cas très compliqués comme celui de Védrenne Léon Jules, né à Marcoussis le 25 décembre 1895, disparu à Notre Dame de Lorette le 25 mai 1915, déclaré « Mort pour la France » et inscrit d’ailleurs sur le grand Mémorial édifié sur ce site à l’occasion du centenaire de la guerre 1914-1918. Léon Jules est le fils de Védrenne Léon Louis, garde-champêtre à Montlhéry, né aussi à Marcoussis mais le 25 mai 1870, et décédé le 4 avril 1918 à Montlhéry. Ce garde-champêtre, père de six enfants, âgé de 44 ans en 1914, qui, théoriquement, faisait partie de la dernière classe de la territoriale, n’a finalement pas été mobilisé et n’a donc pas participé à la guerre 1914-1918 (Chardon, 2020). Des documents militaires à son nom concernent des homonymes, notamment un Védrenne Léon Louis Martin, né à Paris, qui serait aussi mort pour la France en 1915 dans le Pas-de-Calais, mais le 23 juin à Ablain-Saint-Nazaire (59). Védrenne Léon Jules (le fils du garde-champêtre) n’est pas inscrit sur le Livre d’or de Montlhéry mais sur le Livre d’or de Linas, son dernier domicile. Il est inscrit sur le monument aux morts du cimetière de Linas et sur celui de Montlhéry. Sa tombe est d’ailleurs juste à côté de celui de Montlhéry dans le carré militaire qui l’entoure. Son nom, le lieu et la date de sa mort sont gravés sur cette tombe mais on affirme que son nom est aussi gravé sur une tombe du cimetière de Linas, celle de sa famille. Toutefois, comme il a été déclaré officiellement disparu par le tribunal civil de Corbeil, le 28 avril 1920, son corps n’a pas été retrouvé et, par conséquent, n’a pu être inhumé dans une de ces tombes.