Les péages

Alors que le Grenelle de l’environnement en France a relancé le débat sur le péage urbain, le principe des routes et des ponts à péage est depuis très longtemps au cœur des systèmes financiers des États, constituant une source fiscale importante tout en contribuant au financement des infrastructures de transport. De ce fait, les arguments sur l’équité ou l’iniquité sociale et économique de ces péages sont récurrents dans le débat public.

L’origine des péages en Gaule remonte aux Romains. On les nommait aussi travers, chaussée, rouage, barrage, pontenage, port ou passage. Ils avaient pour objet de pourvoir aux dépenses de construction et d’entretien d’ouvrages nécessaires à la circulation. D’autres péages apparurent avec l’anarchie féodale et étaient des perceptions purement fiscales, souvent des exactions plus ou moins déguisées, au profit des seigneurs propriétaires de fiefs. Sans ces péages dédiés aux routes, la presque totalité des ponts et autres ouvrages destinés à franchir les passages difficiles, qui furent construits en France jusqu’au XVIIème siècle, n’auraient pas existé. Mais, après la construction, il fallait entretenir, réparer et surtout reconstruire. Les nombreux récits de chutes de ponts construits au Moyen Âge accusent leur peu de solidité, surtout dans les fondations, et l’inexpérience de leurs constructeurs. D’ailleurs, soit à cause de cette inhabileté pour les maçonneries, soit à cause de l’insuffisance des ressources ou de l’éloignement et des difficultés de transport des matériaux, beaucoup de ponts se faisaient en bois et demandaient ainsi souvent à être renouvelés. Or les réparations et les reconstructions ne se faisaient pas, bien que les péages continuaient à être perçus. Ainsi les péages, nés du besoin de faciliter la circulation, sont devenus un de ses principaux obstacles et ont justifié l’antipathie importante qui a survécu en France à leur généralisation et à leurs abus. Une autre cause de l’impopularité durable qui s’est attachée aux péages, c’est qu’ils n’étaient pas acquittés également par tout le monde. Il y avait des privilèges d’exemption de péages. À partir du XVe siècle, la situation évolue : une sévère lutte du pouvoir royal est engagée contre les péages exigés sans titre. En effet, cette fiscalité féodale sur la circulation est devenue incompatible avec le renforcement de l’État monarchique à la fin du Moyen Âge. Une ordonnance de mai 1413 impose pour la première fois aux seigneurs et aux villes la suppression de péages. Il s’agit du début d’un renversement de tendance. Désormais, les souverains vont abolir un certain de nombre de péages avec ou sans titre créés depuis moins d’un siècle. Les anciens péages sont néanmoins confirmés. Un édit du 15 mars 1430 abolit tous «les péages, travers et subsides, imposés depuis soixante ans sur les marchandises et denrées et défend d’en établir aucun, outre les vrais et ancien péages qui sont conservés». Cette bataille pour l’abolition des péages va durer près de quatre siècles ! Un édit de Louis XII du 15 octobre 1508 exige des bénéficiaires d’un péage l’obligation d’entretenir les routes. Le 29 mars 1515, le roi François Ier révoque par un édit les péages sans permission sur la Loire depuis cent ans et ordonne la vérification des titres des dits péages. L’État cherche à tout prix à se réapproprier l’ensemble des péages. En septembre 1535, des Lettres patentes du roi François Ier sur les droits de péages précise leur affectation : le produit des péages royaux et seigneuriaux doit être employé à la réparation des ponts, chaussées, passages et chemins des pays où ils sont perçus. Pour la première fois apparaît dans ce texte de la Renaissance la notion de service public. Une ordonnance de Charles IX de janvier 1560 impose aux intéressés d’entretenir les ponts et les routes sous peine de perdre le bénéfice du péage. En 1599, Henri IV crée la charge de «grand voyer de France» qu’il confie à son conseiller et ministre Sully. Ce grand commis de l’État réglemente la corvée et affecte les recettes de péages à l’entretien des routes.

En 1661, Jean-Baptiste Colbert, le père de la douane moderne, lance une grande enquête dans tout le royaume qui répertorie plusieurs milliers de péages. La même année, un arrêt du Conseil du Roi enjoint à tous les propriétaires de péages de remettre leurs titres aux commissaires répartis dans les provinces. Une grande réforme des péages est entreprise avec obligation pour chaque propriétaire d’en présenter les titres. Un règlement du 31 janvier 1663 interdit de créer de nouveaux péages, sauf par Lettres patentes du roi enregistrées en parlement. Une déclaration de mars 1668 précise que les détenteurs de droits de péage et autres (bacs, bateaux, ponts, moulins et autres droits sur les rivières navigables, etc.), justifiant d’une possession de cent ans, sont confirmés à perpétuité. En retour, ils doivent verser une redevance du 20ème du revenu. En 1669, Colbert, secrétaire d’État au Commerce et à la Marine, crée des commissaires des Ponts et Chaussées auprès des intendants de province et, l’année suivante, ordonne une inspection générale des voies de communication. En 1724, Louis XV crée une commission chargée de vérifier les titres des propriétaires percevant les péages. Sur 5 658 péages existant sur les routes, ponts et fleuves, 3 521 sont supprimés. L’État se rendant compte qu’obliger les propriétaires à justifier leurs droits n’est pas suffisant pour assainir la situation, l’idée d’une suppression complète des péages pénètre de plus en plus, à partir de 1770, la pensée économique moderne. En 1771, le physiocrate Pierre du Pont de Nemours (1739-1817) préconise de supprimer tous les péages y compris sur les canaux. En 1779, Jacques Necker (1732-1804), directeur général des Finances, crée une nouvelle commission de liquidation des péages ; un arrêt du conseil ordonne que, lorsque le roi juge de supprimer les droits de péage, il sera procédé à la fixation d’indemnités sur l’avis des commissaires du bureau de péages. Les cahiers de doléances font état de nombreux péages qui subsistent encore en 1789. La Révolution française supprime tous les péages, néanmoins demeurent certains ponts à péage et des droits de navigation fluviale. Au XIXe siècle, le principe des voies de communication à péage qui existe depuis l’Antiquité est réhabilité avec le succès notamment des concessions de ponts de Paris. Néanmoins, il faudra attendre le milieu du vingtième siècle pour voir l’État français relancer ce système avec l’essor des autoroutes, ponts et tunnels à péage. À partir du XVIIe siècle, le principe de la recette fiscale a évolué vers la recherche d’un financement des infrastructures. Alors que la Révolution supprime tous les péages (décrets du 15 mars 1790 et du 25 août 1792), la loi du 14 floréal an X (4 mai 1802) réintroduit le système du péage pour la construction de ponts en concession, notamment à Paris. En 1803 est achevé le premier pont métallique construit en France : la passerelle des Arts sur la Seine à Paris ; son péage est d’un sou alors qu’un pain de quatre livres coûte dix sous. La question des ponts à péage ouvre le débat et pose les fondations d’une nouvelle approche économique sur l’utilité des péages. Le péage urbain : un outil de décongestion de la circulation et de limitation de la pollution Après les premières expériences, menées notamment à Singapour , qui a été la première ville dans le monde à avoir adopté un tel système en 1975 – modernisé en 1998 –, et en Norvège – Bergen (1986), Oslo (1990) et Trondheim (1991) –, le péage urbain est devenu un outil de gestion de la circulation qui s’intègre dans une politique urbaine globale. Le succès du péage de Londres (London congestion charge), mis en place en février 2003, a modifié le regard des décideurs français sur le péage urbain. Il fonctionne à partir de caméras de surveillance fixes qui enregistrent les véhicules entrant et sortant de la zone de péage, et qui permettent une lecture automatique de plaques minéralogiques. En janvier 2006, la municipalité de Stockholm a également testé un péage urbain six mois, de janvier à juillet 2006, qui a été pérennisé à partir du 1er août 2007. La ville de Milan, très fortement pollué, a mis en place un péage urbain à partir du 2 janvier 2007. En septembre 2008, c’est au tour de Dublin de lancer un péage urbain par lecture optique des plaques sur son périphérique.

Dans notre région le péage le plus important était celui de la porte Baudry à Montlhéry. Celui-ci date de 991 et de création de la féodalité par Hugues Capet. Le roi attribue le domaine à Thibault File Etoupe forestier de France, avec toute la justice, métairie,…etc. , ….le marché dans la ville de Mont-le-Héry avec les droits d’étalonnage, péage, ….. à charge qu’il paye pour toujours comme vassal douze marcs d’argent pur, à chaque nouvel évêque de Paris le jour de son investiture. En 1118, la seigneurie est annexée au domaine royal pour devenir une châtellenie dirigée par des fonctionnaires royaux : prévôt, procureur du roi, La particularité de ce péage était qu’il était donné en gestion ou sous loué par le prévôt ou plus tard le seigneur engagiste à des particuliers qui devaient en contrepartie leur reverser une certaine somme d’argent. Le péage avait son règlement et l’ordonnance de 1255 détaille toutes les marchandises passant l’octroi de Montlhéry avec le tarif du péage. On trouve de tout : les animaux : vaches, bœufs, cochons, moutons, chevreaux, et même hérissons ou des peaux de lapins, les aliments de base comme le pain, le vin, les oignons, les aulx, les échalotes, les fromages et œufs, etc.… les articles de luxe, les cuirs, de la teinturerie, de l’épicerie, etc. Sous le règne de Saint-Louis, le juif est assujetti à l’impôt au même titre que les marchandises. Une femme payait 6 deniers et 9 deniers si elle « était grosse ». Mais comme partout il y a des exceptions. Étaient exempts de péage : les écoliers, les chevaliers, les gens d’église, les marchands se rendant à des foires privilégiées, les officiers royaux, les charbonniers, les artilleurs….etc.

Une particularité était que ce péage pouvait être partagé entre plusieurs locataires. Par exemple, au XIIIème siècle, Chestin Brunon jouissait de la moitié du revenu des fours banaux et de celui du quart du péage de Montlhéry.

Sur un document de 1594, la route est appelée « Chère rue » à cause des péages.

En 1542, un certain Jehan Delaistre, hostellier demeurant à Montlhéry à l’enseigne de l’autruche et Jehan Desbe, marchand demeurant à Montlhéry, confessent qu’ils sont les plus offrants et derniers enchérisseurs du bail de la ferme du péage dudit Montlhéry, et ce pour un bail de 3 ans, moyennant la somme de 395 lt de loyer. Différentes ordonnances imposent au seigneur qui percevait les péages l’obligation d’entretenir les chemins « peuvent les habitans voisins et passans contraindre le seigneur qui prend droit de péage à la réparation des chemins, ponts, ports et passages ».

En 1663 Colbert libère le commerce Il réforme complètement les péages Les abus étaient arrivés à un excès déplorable « le transport des marchandises était presque ruiné par la quantité des péages qui avaient été établis sous divers prétextes ». Une ordonnance royale prescrivit de ne percevoir les péages qu’au nom du roi. La pancarte qui en contenait les droits devait être timbrée de ces mots : de par le roi, et porter les armes royales.

Lorsque la route Royale Paris Orléans a été dévié, le péage de Linas est devenu le plus important. La nouvelle route passait par le petit Montlhéry et passait Linas au pont de la Salmouille. Le péage de Linas était affermé pour 3500 à 4000 livres par an alors que celui de la porte Baudry était inférieur à 400 livres.

Le 20 juillet 1697 l’adjudication du domaine de Montlhéry à Jean Phélippeaux mentionne la location du péage de Linas. Il est loué 3800 livres et rapporte environ 4400 livres alors que celui de la porte Baudry est loué 156 livres.

A cette époque on note de nombreuses plaintes des habitants de Montlhéry contre le fermier du péage qui exagère sur les droits pris au péage. Par exemple en 1732 un mémoire est présenté par les habitants de Montlhéry contre le fermier qui occupe le péage, l’accusant de pratiquer un tarif supérieur aux droits légitimes. Malgré tout un arrêt du Conseil d’Etat du Roy du 4 août 1733 maintient ledit seigneur engagiste (le sieur Phelippeaux) dans le droit de péage, pour en jouir et percevoir à Montlhéry et non ailleurs ; et à fixer la qualité desdits droit. En 1763, décès du sieur Phélippeaux, seigneur engagiste de Montlhéry. Les lettres patentes d’engagement du domaine de Montlhéry sont rendues en faveur du comte Philippe de Noailles le 23 novembre 1763. Une bonne nouvelle pour les habitants de la région. Le péage de Linas est supprimé. Seul reste celui de la porte Baudry. Le 21 août 1774 Turgot devient contrôleur général des Finances. Le ministère de Turgot avait entrepris d’importantes réformes. L’arrêt du 15 septembre 1774 prescrit la suppression des droits de péage.

En 1784 une mesure importante a été prise par Louis XVI. Dans son édit de tolérance du mois de janvier, il supprime le péage corporel pour les juifs qui était en place sous Saint Louis. Le péage de la porte Baudry sera supprimé à la révolution par l’abandon des privilèges le 4 août 1789.

 

 14 Juin 2016  Gérard GUELDRY